La 5e période des CEE s’est ouverte dans un contexte assez morose de hausse des prix de l’énergie, de baisse du cours des CEE et de baisse des primes. Où en est-on deux mois après le début de la P5 ? Quel sera l’impact de l’inflation sur le cours des CEE ? Le gouvernement va-t-il répondre à la demande des syndicats de lisser la baisse des forfaits Isolation sur plusieurs mois, ou encore de rehausser l’obligation ?
La volonté d’accélérer la rénovation énergétique des bâtiments en France est très forte, du côté des pouvoirs publics comme des acteurs du marché du bâtiment. Et le programme public des CEE est aujourd’hui le premier financeur de la rénovation énergétique sur le territoire. Il est à l’origine par exemple en 2017 de 61 % des réductions de consommation d’énergie du secteur résidentiel1.
Un contexte difficile en début de P5
Pour autant, la 5e période des CEE commence mal. Pourquoi ? Les obligés ont constitué un stock important de CEE en période 4. La demande de CEE sur le marché Emmy2 est donc en baisse.
Cette situation entraîne la chute du cours, au détriment d’acteurs de la production de CEE comme les mandataires, et de certains professionnels de travaux, pénalisés par le ralentissement de l’activité des mandataires.
Parallèlement, la hausse des prix de l’énergie, du prix des matériaux et la pénurie de main d’œuvre augmentent les coûts de production des chantiers de rénovation.
Si cette tendance se confirme, les primes CEE couvriront une plus faible part du montant des travaux. Elles deviendront donc moins incitatives, entraînant une baisse de la demande de travaux et le ralentissement de l’activité de la filière de la rénovation énergétique.
De plus, la suppression du Coup de Pouce Isolation et les baisses de forfaits de plusieurs Coups de Pouce et des fiches Isolation ont déjà rendu le dispositif des CEE moins incitatif, ce qui a freiné la demande et donc la production de travaux.
Les professionnels de l’isolation souffrent en ce moment de ces modifications dans le régime d’aides, avec 13 000 emplois menacés3.
Ce contexte a peu évolué depuis début janvier. La volatilité des prix de l’énergie et des matériaux devrait toujours être au rendez-vous dans les mois à venir. Et la guerre en Ukraine a commencé d’accentuer la flambée des prix du gaz, des matériaux et les difficultés d’approvisionnement.
Rehausser l’obligation, échelonner la baisse des primes Isolation
En réaction, plusieurs représentants de la filière sont montés au créneau pour tenter de convaincre le gouvernement de revenir sur ses actes.
Les fabricants d’isolants à base d’ouate de cellulose, très impactés par la révision des fiches Isolation, ont demandé au Ministère de la Transition écologique d’instaurer une baisse progressive des primes Isolation.
Le syndicat Symbiote (Syndicat multi-branches des industries et des opérateurs de la transition énergétique) propose lui de rehausser le niveau d’obligation de la 5e période en passant à une obligation de 3 000 TWh d’économies d’énergie, pour relancer la demande de CEE. Il suggère aussi de revenir sur la baisse des primes Coups de Pouce.
Hausse des prix de l’énergie : depuis quand et pourquoi ?
Chronologie de la hausse des prix de l’énergie4
De septembre 2020 à septembre 2021 | On constate une hausse constante des prix de l’énergie |
Entre juin et juillet 2021 | Le prix du gaz augmente de 10 % |
Octobre 2021 | Nouvelle hausse du prix du gaz |
De mars 2021 à fin 2021 | Hausse du prix des carburants, entre 13 et 15 % pour le gazole et le sans plomb |
Décembre 2021-début 2022 | Pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages, le gouvernement met en place une indemnité inflation puis un bouclier tarifaire sur le gaz pour contenir la hausse des prix à 4 % |
Février 2022 | Hausse du prix de l’électricité de 12% |
Fin février 2022-Début mars | Début de la guerre en Ukraine, nouvelle hausse des prix de l’énergie : le prix du gaz double notamment suite à l’annonce de l’arrêt du projet de gazoduc Nord Stream 2 qui doit relier l’Allemagne à la Russie |
La hausse des prix de l’énergie frappe 70 % des Français, les abonnés du « Tarif Bleu » – le tarif réglementé de l’électricité – et 5 millions de ménages abonnés au tarif réglementé du gaz.
La hausse des prix du gaz s’explique par la reprise économique mondiale post-Covid, qui crée un déséquilibre entre la demande mondiale, en forte augmentation, et l’offre de gaz, insuffisante pour satisfaire la demande. La hausse des quotas de carbone en Europe est répercutée également par les producteurs de gaz sur les prix. Le prix de l’électricité, quant à lui, évolue en fonction du prix du gaz car en France, de l’électricité est produite avec du gaz.
Quel est l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur le marché des CEE ?
La hausse des prix de l’énergie augmente les coûts de production des travaux de rénovation énergétique, car elle se répercute notamment sur le prix des matériaux. Elle augmente donc le coût des travaux.
Les primes CEE, déjà à la baisse et moins incitatives qu’avant, risquent de le devenir encore moins avec la hausse des prix du gaz et de l’électricité. La demande de travaux est ainsi susceptible de diminuer, et la production de CEE de ralentir.
Néanmoins, un grand nombre d’artisans déclarent pour le moment ne pas avoir répercuté sur leurs devis la hausse du prix des matériaux.
Et surtout, la hausse des prix rend en même temps plus rentable la réalisation de travaux d’économies d’énergie : comme la facture explose, faire des économies devient encore plus intéressant. Toutefois, l’inflation diminue aussi la capacité des ménages et des entreprises à investir.
Enfin, la guerre en Ukraine est venue aggraver la situation : elle a accentué la hausse du prix du gaz et de l’électricité, mais aussi les difficultés d’approvisionnement en matières premières (dont les fournisseurs sont parfois russes ou ukrainiens) et la hausse du prix des matériaux. Plusieurs syndicats du bâtiment demandent au gouvernement des mesures d’urgence pour aider le secteur, dont le gel des prix de l’énergie et des carburants.
Vers une hausse de l’obligation en période 5 des CEE ?
La situation est donc complexe et pour le moment, défavorable aux acteurs de la rénovation énergétique et des CEE. Plusieurs opérateurs du marché des CEE se prononcent en faveur d’une révision à la hausse de l’obligation de 2 500 TWh prévue pour la 5e période, pour relancer la demande de CEE, et avec elle, la filière rénovation.
Ils espèrent aussi un retour en arrière concernant la révision des primes minimum dans le cadre des Coups de Pouce Rénovation performante. En effet, la prime minimum à verser au bénéficiaire des Coups de Pouce est désormais de 6,5 €/MWhc, ce qui est au-dessus du prix médian sur le marché. Ces changements dans le montant des primes laissent donc les acteurs du marché dans une situation de vente à perte.
Mais rien n’est figé. Des ajustements s’imposeront peut-être plus vite que prévu et par le haut. La révision de la directive européenne sur l’efficacité énergétique, pour l’aligner sur le nouvel objectif européen de 55 % de réduction des émissions de GES d’ici 2030, devrait entraîner avec elle une augmentation de l’obligation de la 5e période.
Sans doute, en tout cas, la bataille de l’Europe contre l’inflation ne fait-elle que commencer. Selon l’Observatoire de l’énergie du groupe ExxonMobil, la demande en énergie ne fera qu’augmenter dans les années à venir, portée par le développement économique auquel aspire une très grande partie de la population mondiale.
L’offre va donc devoir s’adapter et monter en volume, tout en respectant des objectifs de neutralité carbone. Ce qui demandera des investissements lourds et coûteux pouvant eux aussi, faire s’envoler les prix de l’énergie.